Dans un contexte géopolitique tendu, les États renforcent leur vigilance face aux capitaux étrangers. Entre protection des intérêts nationaux et attractivité économique, le contrôle des investissements étrangers devient un enjeu stratégique majeur.
L’arsenal juridique des États pour filtrer les investissements
Les gouvernements disposent d’un éventail d’outils législatifs pour encadrer les investissements étrangers. En France, le dispositif IEF (Investissements Étrangers en France) permet de passer au crible les opérations dans les secteurs sensibles. Aux États-Unis, le CFIUS (Committee on Foreign Investment in the United States) joue un rôle similaire, avec un pouvoir de blocage renforcé depuis le FIRRMA (Foreign Investment Risk Review Modernization Act) de 2018.
L’Union européenne n’est pas en reste, avec l’adoption en 2019 du règlement 2019/452 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers. Ce texte encourage la coopération entre États membres et fixe des critères communs d’évaluation, sans pour autant créer un mécanisme centralisé de contrôle.
Les secteurs stratégiques sous haute surveillance
Certains domaines d’activité font l’objet d’une attention particulière. La défense, les infrastructures critiques, l’énergie, les télécommunications, ou encore les technologies de pointe comme l’intelligence artificielle et la robotique sont particulièrement scrutés. L’affaire Alstom-General Electric en 2014 a marqué un tournant en France, poussant à un renforcement du contrôle dans le secteur énergétique.
La santé est également devenue un enjeu majeur, comme l’a révélé la crise du Covid-19. De nombreux pays ont élargi leur périmètre de contrôle pour y inclure les entreprises pharmaceutiques et les fabricants d’équipements médicaux, afin de préserver leur souveraineté sanitaire.
L’équilibre délicat entre protection et attractivité
Le renforcement des contrôles pose la question de l’attractivité économique des pays. Un filtrage trop strict pourrait décourager les investisseurs étrangers et priver les économies nationales de capitaux précieux. Les États doivent donc trouver un équilibre subtil entre protection des intérêts stratégiques et ouverture aux investissements internationaux.
Cette problématique est particulièrement sensible pour les pays en développement, qui dépendent souvent des capitaux étrangers pour financer leur croissance. Le Brésil, par exemple, a longtemps hésité avant de mettre en place un mécanisme de contrôle, craignant de freiner les investissements dans des secteurs clés comme les infrastructures.
Les défis de la mise en œuvre du contrôle
L’application effective des mécanismes de contrôle soulève de nombreux défis. La complexité des montages financiers et l’utilisation de sociétés écrans peuvent rendre difficile l’identification de l’investisseur réel. Les autorités de contrôle doivent donc se doter de moyens d’investigation performants et collaborer étroitement avec les services de renseignement.
La question des délais est également cruciale. Un processus d’examen trop long peut faire capoter des opérations importantes ou permettre à des concurrents de prendre l’avantage. Les États s’efforcent donc de rationaliser leurs procédures, à l’image de la France qui a mis en place en 2020 une procédure accélérée pour certains investissements.
Les tensions géopolitiques, moteur du renforcement des contrôles
Les relations internationales tendues influencent directement les politiques de contrôle des investissements. La rivalité sino-américaine a conduit à un durcissement des contrôles de part et d’autre. Les investissements chinois dans les technologies sensibles aux États-Unis font l’objet d’une vigilance accrue, tandis que la Chine a renforcé son arsenal juridique pour protéger ses entreprises stratégiques.
En Europe, les inquiétudes concernant les investissements russes dans le secteur énergétique ont poussé plusieurs pays à renforcer leurs dispositifs de contrôle. L’affaire Huawei et le déploiement de la 5G ont également mis en lumière les enjeux de sécurité liés aux investissements étrangers dans les infrastructures critiques.
Vers une harmonisation internationale des pratiques ?
Face à la globalisation des enjeux, la question d’une coordination internationale se pose. L’OCDE a élaboré des lignes directrices pour les politiques d’investissement, mais celles-ci restent non contraignantes. Certains experts plaident pour la création d’un cadre multilatéral plus ambitieux, qui permettrait d’harmoniser les pratiques et d’éviter les conflits de compétence.
Une telle approche se heurte toutefois à la réticence de nombreux États à abandonner leur souveraineté en matière de contrôle des investissements. Les discussions au sein du G20 ou de l’OMC sur ce sujet n’ont pour l’instant pas abouti à des avancées significatives.
Le contrôle des investissements étrangers s’impose comme un outil incontournable de la souveraineté économique. Entre impératifs de sécurité nationale et nécessité de rester attractifs, les États cherchent la formule idéale. Ce délicat exercice d’équilibriste façonnera les relations économiques internationales dans les années à venir.